L’effet Lucifer, Philip Zimbardo
Par son livre « L’effet Lucifer, comprendre comment les gens normaux deviennent mauvais », Philip Zimbardo nous laisse un témoignage saisissant de l’expérience assez célèbre de psychologie sociale qu’il a réalisé à Standford en 1971, de ses conclusions, et des parallèles qu’il établit avec des événements historiques réels, notamment le scandale de la prison d’Abu Ghraib en Irak en 2004.
Il en profite pour revisiter les expériences classiques de psychologie sociale sur le thème de l’effet de groupe, et décrire les mécanismes les plus connus à savoir la normalisation, la conformité, l’obéissance à l’autorité, la déindividuation, la déshumanisation et la dilution de responsabilité entre autre.
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Pourquoi lire ce livre ?
Si vous souhaitez faire un voyage du côté sombre de l’être humain (et que vous n’avez pas de problème pour lire 500 pages en anglais !), ce livre se présente comme une très bonne introduction. Certes, ses résultats sont parfois décriés par certains psychologues, et l’éthique de l’expérience est plus que discutable (sans parler de l’approche un peu sensationnelle). Cependant, ceux qui ont vécu ou participé à des bizutages ou des activités de cohésion poussées trouveront certainement un air de déjà-vu, et le livre va bien plus loin en décrivant de façon assez détaillée l’affaire d’Abu Ghraib et la relation de l’armée américaine avec la torture, ce qui est très intéressant pour ceux qui travaillent dans les métiers de la sécurité en général.
Enfin, il rappelle les expériences et faits historiques notables intéressant les effets de groupe, et décrit les mécanismes principaux à l’œuvre dans les groupes humains. Ce qui augmente la taille du livre pour pas cher (car ce sont des mécanismes que l’on peut retrouver dans n’importe quel livre de psychologie sociale), néanmoins ces chapitres s’inscrivent bien dans la thématique qu’il défend.
De quoi parle-t-il ?
Le livre est assez long et dispose de plusieurs approches sur la même thématique. Voilà en quelques mots le découpage et mon avis sur les éléments dispensés.
Les premiers chapitres (1à 9) décrivent intégralement l’expérience réalisée à Standford en 1971. L’auteur nous explique qu’il a repris les vidéos et toutes les archives de l’expérience pour présenter le plus objectivement possible la chronologie des événements. C’est un peu long, mais cela reste tout de même un résumé des faits avec le détail des actions de chacun des personnages et les étapes marquantes de l’expérience. Vous trouverez un avis personnel plus fourni dans un autre post. En bref, si on peut lui pardonner une approche éthique assez légère (dans le contexte des années 1971 et de la psychologie sociale comme science naissante) et une faible expérience du commandement humain (ou de la direction de personnel dans des situations difficiles), il est intéressant de noter l’emballement des comportements des gardes comme des prisonniers, chacun dans leur rôle, qui mène fatalement à l’excès. Je soupçonne fortement, même si cela n’est pas présenté ainsi, le Pr Zimbardo de chercher à pousser l’expérience aussi loin que possible vers le sensationnel. Bref, heureusement rien de tragique n’est arrivé, et l’expérience fait date dans l’histoire de la psychologie sociale, d’autant qu’il serait très difficile de la reproduire actuellement, en laissant de jeunes gens se prendre en charge eux-mêmes jusqu’à l’accident (ou presque). Sur ce dernier point, l’actualité nous présente suffisamment d’exemples d’ « effets lucifer » (casseurs, crimes en réunion, …), quel que soit le terme avec lequel on les nomme, pour ne pas nécessiter de recourir à des expériences. Ceci est une autre histoire.
Les deux chapitres suivants établissent une analyse des faits et soulignent les mécanismes de psychologie sociale à l’œuvre (qui seront décrits plus en détail dans les chapitres suivants).
Chapitres 12 et 13 : description donc des mécanismes de normalisation, conformité, obéissance à l’autorité, déindividuation, déshumanisation, dilution de responsabilité, désengagement moral, pensée de groupe, entre autres, ponctués par des récits d’expériences notables. J’ai trouvé ces deux chapitres assez intéressants car explicitant l’ensemble des notions de vulnérabilité internes et externes de l’être humain vis-à-vis du groupe, avec des exemples intéressants, sur un ton toujours facile à suivre et vulgarisé (l’avantage majeur des ouvrages à vocation scientifique anglo-saxons qui sont habilement vulgarisés et abordables pour le plus grand nombre, …).
Chapitre 14 : description assez exhaustive des faits de maltraitance apparus en 2004 au sein de la prison d’Abu Ghraib : certains prisonniers étaient régulièrement maltraités et mis en scène dans des situations dégradantes par les gardiens militaires. Ames sensibles s’abstenir malgré tout. En tant que témoin de la défense pour un des soldats accusés, l’auteur décrit non seulement les faits tels que présentés dans l’actualité, mais établit aussi la chronologie des événements, l’histoire de la prison et de l’intervention américaine en Irak. Il passe aussi nécessairement par une description peu reluisante des faits et usages de l’armée américaine en matière d’ « interrogation » des prisonniers de guerre à cette époque, ce qui, chacun aura son opinion, pourra paraître troublant voire choquant. Le public averti aura un œil critique sur le sujet et en tirera certains enseignements.
Chapitre 15 : à partir des faits établis au chapitre précédent et d’un certain nombre de rapports officiels américain, l’auteur reconstitue les éléments d’accusation tels qu’il aurait aimé les voir apparaître lors des procès réalisés suite aux événements. A savoir qu’au lieu de de ne condamner que sept sous-officiers et militaires du rang directement impliqués dans les faits (en résumé les personnes apparaissant sur les photos dégradantes prises à l’époque), il établit des relations de culpabilité avec une hiérarchie détachée et négligente, et des moyens inadaptés qui ont grandement facilité les événements.
Le chapitre 16 est un plaidoyer un peu étrange sur l’héroïsme (il faut toujours un chapitre bizarre dans un livre !). A l’opposé des actes « diaboliques » décrits dans le reste de l’ouvrage, l’auteur essaie d’analyser ce que pourrait être un comportement héroïque, comment détecter ces êtres particuliers et comment les promouvoir par des conditions situationnelles, avec une citation sur les recherches en psychologie positive. Il finit sur un chapitre volontairement positif, certainement pour ne pas trop démoraliser ses lecteurs, avec notamment 10 recettes pour résister à l’influence sociale. Nous en parlerons ailleurs.
Conclusion
En résumé, le livre est un peu long à lire, mais d’une part la description de l’expérience de Standford, et d’autre part la description du cas de la prison d’Abu Ghraib sont très instructifs et méritent que l’on se penche bien dans les détails pour intérioriser et s’immiscer dans les faits.
En effet : il existe une différence imperceptible mais majeure entre savoir et comprendre, entre la théorie et la pratique, surtout en ce qui concerne la psychologie humaine et le management en général. On a souvent l’impression de savoir, mais on ne se rend vraiment compte de la difficulté qu’une fois les pieds sur le terrain (dans la boue ou ailleurs !). Et ces chapitres assez détaillés permettent justement de se demander : que faudrait-il faire dans cette situation ?
Les rappels des mécanismes de psychologie humaine illustrés par des exemples sont instructifs et synthétisent bien les dangers du groupe social.
Au final, un livre qui mérite d’être lu. Pour ceux qui souhaitent aller plus loin dans la description de l’expérience de la prison de Standford, je vous donne rendez-ici, pour l’analyse des résultats ici, et pour une discussion plus personnelle et critique de cette expérience, c’est ici.
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J’espère que cet article vous aura plu. N’hésitez pas à commenter et partager avec ceux ou celles qui pourraient être intéressés.
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