Comment éviter les pièges de la décision ?
Les dirigeants ne sont pas toujours conscient des biais humains et des pièges psychologiques qui les guettent aux détours de leurs décisions. Ils sont pourtant régulièrement conviés à en prendre (eh oui). C’est parfois difficile, contraignant et mal vécu pour certains. Et c’est d’ailleurs pour cela que le cadre est payé si cher, personne n’aime spontanément décevoir son prochain. Mais c’est le job, et de toutes façons il n’est pas possible d’être d’accord avec tout le monde.
Quand il prend une décision, le chef s’engage, et met sa crédibilité en jeu. Et une fois prise, une décision peut être très difficile à changer, même si tout montre qu’il faut changer d’avis. Cet article aborde le contexte psychologique de la décision, et les pièges émotionnels qu’il faut connaître et éviter. Il est évidemment tout à fait envisageable de décider de rester sur le Titanic quoi qu’il arrive, parce que le billet coutait cher malgré tout ou parce que vous n’aimez pas changer d’avis par principe. Mais il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis…
Cette article s’inspire beaucoup l’ouvrage de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, que je recommande sincèrement.
Voilà donc quelques pièges de la décision expliqués.
La dépense gâchée
Vous réservez un weekend dans un endroit sympathique afin de prendre deux jours de détente bien mérités avec votre moitié. La veille de votre départ, vous vous rendez compte que le temps ne sera vraiment pas au rendez-vous ou que ce weekend sera probablement gâché par le Technival prévu dans le champ juste derrière la chambre d’hôte réservée. Vous savez déjà que vous serez bien mieux chez vous finalement, et que si vous partez tout de même pour ce séjour, vous vous préparez à un weekend d’enfer, au premier sens du terme. En outre, aucun remboursement ne s’avère possible.
Que faites-vous ?
Vous y allez quand même parce que vous avez investi une petite somme et du temps pour planifier ce sejour ?
Ou la logique même vous souffle que de toutes façons l’argent est dépensé, et autant ne pas vivre en plus une situation pénible.
Ce biais de la « dépense gâchée » incite à s’orienter dans la voie du plus fort investissement initial. C’est le même principe qui opère après l’achat d’une bouteille de vin chère mais finalement bouchonnée et de très mauvais goût. Il existe un fort risque de la boire quand même.
Dans un cadre professionnel, ce biais consiste à justifier un investissement ou l’utilisation d’un achat de matériel par exemple, même presque inutile, pour la bonne raison qu’il a coûté cher.
Donc, attention, ce n’est pas parce qu’un investissement a été réalisé qu’il faut à tout prix considérer que son utilité est à la hauteur du sacrifice consenti.
Le piège abscons
Vous êtes à 20 minutes de chez vous à pied, mais vous décidez de prendre le bus. Cela fait 15 min que vous l’attendez et il n’arrive toujours pas. Vous décidez d’attendre encore 5 min, puis 5 min de plus, puis… vous tombez dans ce qui s’appelle le piège abscons. C’est à dire que vous vous sentez obligé de rester encore pour justifier le fait que vous êtes déjà resté aussi longtemps…
C’est le même type de mécanisme qui pousse les parieurs à parier toujours un peu plus, pour avoir la sensation de se rapprocher du gain (surtout pour les jeux type machine à sous, pour lesquels la probabilité de gain paraît augmenter à mesure que l’on joue).
Mais l’être humain évalue assez mal les probabilités.
Il faut donc rester vigilant et ne pas se laisser abuser par une fuite en avant dépensière. A partir d’un moment, il est nécessaire d’établir un bilan (voire dès le début placer un niveau stop, si on anticipe une dérive probable de la dépense) et prendre une décision, difficile mais nécessaire. Il veut mieux se couper un doigt que toute la main…
L’escalade de l’engagement
Ce type de biais paraît similaire aux précédents mais s’exerce sur un autre type de décision.
Une expérience célèbre sur le sujet concerne une école de commerce réputée (autrement dit les élèves étaient censés disposer de tous les atouts pour décider de façon admirable). Il s’agissait de choisir entre deux sociétés dans lesquelles investir. Le choix était délicat car les deux investissements possédaient la même probabilité de réussite et de risque. Naturellement, la moitié des élèves décida pour la société A et l’autre moitié pour la B.
Ensuite, les mêmes élèves ont dû choisir encore entre les mêmes sociétés mais leur situation avait évolué sur plusieurs années. Cette fois-ci les sociétés n’étaient plus aussi équivalentes économiquement et une société semblait sensiblement plus profitable que l’autre. Alors que tous auraient dû choisir la société la plus profitable, leurs choix initiaux les ont au contraire fortement influéncés. Et ceux qui avaient choisi en premier la société la moins profitable avaient tendance à s’entêter dans ce choix.
Cette expérience montre l’attachement sentimental que nous pouvons garder pour une décision précédente, même si tout montre que le choix n’est plus pertinent.
Ce type de biais est manifeste dans des problématiques d’investissement, mais aussi de choix de fournisseurs, de partenaires commerciaux, de produits, de marques, …
Dans ce type de situation, il faut s’assurer de bien décider objectivement, et neutraliser tout argument purement subjectif ou sentimental.
Ce type de biais diminue de fait dans les organisations qui forcent la mobilité de leurs cadres, et favorisent les mutations tous les 3-4 ans. Outre la variété des expériences professionnelles, les biais d’escalade et de favoritisme se réduisen. Les anciennes décisions se reconsidèrent régulièrement par le nouveau management en poste.
L’effet de gel
Les auteurs du livre présenté initialement (Joule et Beauvois) pensent que la décision suit un effet de gel. C’est à dire qu’une fois une décision prise, l’individu va naturellement figer son choix quelle que soient malgré les arguments contradictoires ultérieurs, d’où les biais cités précédemment. Cet effet rejoint le mécanisme de dissonance cognitive. En effet, nous cherchons naturellement à réduire notre propre incohérence : si nous avons décidé quelque chose, il n’y a donc pas de raison de changer d’avis. Et donc toutes les bonnes excuses qui nous entretiendrons dans notre décision initiale seront les bienvenues, mêmes les plus fallacieuses.
En tant que responsable, les occasions de prendre des décisions ne manquent pas. Nous avons tous l’expérience de bonnes ou mauvaises décisions. Il est possible que certaines mauvaises l’aient été à cause d’un biais qui vient d’être décrit.
Quelles sont les attitudes à adopter pour sortir de ce type de piège ? Elles sont décrites ici.
Si vous voulez en savoir plus sur les décisions, les mauvais systèmes décisionnaires et les grandes catastrophes de l’histoire, rendez-vous ici.
Découvrez aussi le livre de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens.
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