L’expérience de Zimbardo (l’effet Lucifer) (2) : chronologie des événements

Temps de lecture : 5 minutes

L’expérience de la prison de Standford fait partie des plus célèbres en psychologie sociale. Elle est décrite en détail dans le livre « The Lucifer Effect », de Philip Zimbardo.

Cet article poursuit la description de l’expérience qui a été initiée ici. Vous découvrirez les derniers jours vécus par les gardiens et les prisonniers. La conclusion de l’auteur de l’expérience, notamment sur le très médiatique « effet lucifer » apparaît ici. Nous conduirons aussi une analyse plus poussée des mécanismes psychologiques (et de manipulation en quelque sorte) en se fondant sur les phénomènes traditionnels du comportement humain.

Troisième jour

Les gardiens se montrent de plus en plus agressifs envers les prisonniers, notamment pendant les rituels de comptage entre chaque relève. Ils s’éternisent et deviennent de véritables épreuves : pompes, abdominaux, flexions, positions de résistance physique jusqu’à l’épuisement.

L’accès aux toilettes devient un luxe et les prisonniers sont obligés de faire leurs besoins dans un seau pendant la nuit. L’actualité principale du jour est la visite des parents des prisonniers le soir même.

Une rumeur court parmi les gardiens que le prisonnier libéré la veille prépare une attaque en force pour délivrer l’ensemble de ses occupants. Zimbardo décide alors d’implanter un nouveau prisonnier complice comme informateur. Le reste de la journée est principalement occupé à nettoyer la prison afin de lui donner l’apparence la plus décente possible pour les visiteurs.

Le soir, certains prisonniers reçoivent donc famille et amis, en nombre limité (pas plus de deux personnes à la fois), et dans une atmosphère très aseptisée et faussement détendue afin de rassurer un maximum les visiteurs (là encore, le point de vue éthique est assez discutable). En effet, les gardiens restent présents aux discussions, ce qui évidemment limite le contenu des échanges !

La fin de soirée est dédiée à une mise en scène destinée à contrer la supposée invasion des lieux. Tous les prisonniers sont déplacés au 5eétage de l’université, dans une salle désaffectée, afin de présenter une prison vide aux hypothétiques envahisseurs, en simulant un abandon de l’expérience. Ce qui était une rumeur le resta et les prisonniers regagnèrent leur cellule quelques heures plus tard quand la méprise fut confirmée par l’absence de protagonistes.

 

Quatrième jour

Quelques nouveautés s’invitent dans cette nouvelle journée au paradis. Elle commence néanmoins avec les persécutions habituelles : relève avec comptages interminables, exercices physiques et envoi au trou arbitraires. Néanmoins, un prêtre, habitué du milieu carcéral, est invité à s’entretenir avec les prisonniers de la même façon que s’ils étaient de vrais repris de justice. Cette situation contribue à brouiller la perception de certains prisonniers entre fausse et vraie prison. Un des pensionnaires notamment sombre doucement dans l’hystérie, et doit être relâché.

Un nouveau prisonnier (sélectionné de la même façon que les autres) arrive pour remplacer les dernières défections. Pas de chance pour lui, il débarque au moment du déjeuner, dont tous sont privés à cause de la « résistance » d’un détenu (qui globalement ne fait qu’exprimer un mécontentement sur le traitement qui leur est infligé). S’enchaînent alors des exercices physiques aussi ingrats que pénibles jusqu’au soir. Saisissant immédiatement tout l’enfer de la situation dans laquelle il est tombé, il ne voit d’échappatoire que dans une grève de la faim qu’il entame aussitôt. Il déclenche alors le courroux extrême des gardiens, qui n’arrivent pas à le forcer à s’alimenter malgré tous leurs efforts de persuasion et de menace (n’oublions pas qu’ils n’ont pas droit à user de violence physique, même si parfois ils s’en approchent très près). Cet échec leur est insupportable et il subit un déluge d’insultes et de punitions qui se déversent par ricochet sur les autres pensionnaires.

Ce même jour est aussi organisé un comité de libération sur parole, qui évalue les argumentations des prisonniers les plus obéissants dans le but d’une éventuelle libération. Sans succès évidemment, puisque l’objectif est bien de conserver ces cobayes. Cet exercice permet néanmoins de constater une désorientation et une confusion mentale variable mais réelle chez les participants. Ils mélangent de plus en plus réalité et fiction, restant persuadés de leur impossibilité à suspendre l’expérience de leur propre chef. Ils s’enfoncent dans une certaine apathie, et montrent un retrait de leur personnalité et de leur individualité. Ceci dit, tout est fait dans ce but, nous le verrons dans les articles suivants (voir aussi plus loin).

 

Cinquième jour

Comme d’ordinaire, les journées commencent par un comptage interminable (on parle ici de la relève de 2 heures du matin), aussi soudain et sournois que déplaisant. Les thématiques sont ce jour la récitation des règles (avec exercice physique en cas d’oubli ou d’approximation), ainsi que le pliage des lits dans le pur style militaire, les lits étant refaits jusqu’à ce que les gardiens trouvent le jeu ennuyeux.

Nouveau comptage dès 7 heures, ce qui a pour conséquence de faire craquer un prisonnier, assommé par les frustrations et la privation de sommeil. Il refuse de faire les exercices physiques demandés, malgré la pression des gardiens qui répercutent sa désobéissance sur les autres prisonniers en leur donnant plus d’exercices « par sa faute », puis il est mis à l’isolement.

En fin de journée, après un deuxième comité de libération conditionnelle, un nouveau prisonnier est libéré, non grâce à son argumentation (le comité conclut par un refus) mais parce qu’il montre de sérieux signes d’épuisement émotionnel et de désorientation.

Toujours dans la soirée, une jeune psychologue (future épouse de Zimbardo) est invitée à réaliser des entretiens avec les participants à l’expérience (gardiens et prisonniers, de nombreux entretiens sont réalisés au fur et à mesure de la semaine par des assistants). C’est alors qu’elle assiste médusée à la procession des toilettes.

Les toilettes étant distantes de la prison, les prisonniers s’y rendent par plusieurs, un sac en papier sur la tête pour ne pas voir les couloirs de l’université. Ils sont menottés et chaines aux pieds, dirigés par un garde, dans une atmosphère des plus sordides. Zimbardo qui admire la scène en profite pour interpeller son amie et lui présenter ce magnifique résultat de résignation et de soumission, comme le point d’orgue d’une grande réussite scientifique.

La jeune femme, probablement moins engagée professionnellement dans l’expérience, et montrant un sens éthique plus nuancé, se montre plus que choquée. Elle refuse d’en savoir plus et préfère rentrer chez elle. Le dévoué chercheur (Zimbardo) lui reproche, non sans indélicatesse, sa sensibilité excessive, et émet certains doutes quant à sa future carrière dans la discipline. S’en suivent de vifs échanges qui se concluent par la prise de conscience du professeur d’une « légère » dérive éthique.

Remarque personnelle : les considérations éthiques auraient peut-être d’ailleurs mérité d’être un peu plus présentes dès le début de l’expérience. En effet, l’apport positif de cette expérience pour la communauté scientifique contrebalance difficilement les persécutions et les désorientations subies par ces pauvres jeunes gens.

Le professeur décide alors de stopper l’expérience dès le lendemain, pour sauver la noblesse de la science et probablement beaucoup plus son propre couple (on peut se demander comment se serait achevée cette expérience si aucune des élèves de Zimbardo n’avait été à son goût !).

D’autant qu’après cet échange animé, les deux scientifiques, de retour dans la pièce de contrôle de la prison, découvrent un autre débordement, avec l’acharnement des gardiens sur le gréviste de la faim qui subit des insultes à caractère sexuel proférées sur ordre par tous les prisonniers. Ces derniers sont aussi forcés à mimer des relations sexuelles et dégradantes entre eux.

Sixième jour

Fin du spectacle : les prisonniers et les gardiens sont convoqués pour l’annonce de la fin officielle de l’expérience. Ils toucheront toute la prime qu’il leur avait été promise pour deux semaines, et sont invités à se rendre disponible notamment pour des entretiens (et un suivi psychologique).

Du livre « l’effet Lucifer », on apprend que les participants s’en tirent globalement sans grandes séquelles émotionnelles. L’expérience a motivé certains à poursuivre des études en psychologie afin d’explorer les limites du comportement humain. Tous s’en sont sortis correctement dans la vie, sans séquelle psychologique notable.

 

Et après…

A travers ces deux articles vous avez pu suivre l’enchaînement des événements de l’expérience deZimbardo, et éventuellement comparer avec des événements personnels similaires.

Dans un nouvel article, seront exposées les conclusions de l’auteur de l’expérience, et notamment l’évocation d’un « effet Lucifer » et de l’influence du « système ».

Puis, dans un autre article, vous trouverez un avis personnel, établi à partir des comportements classiques et bien connus de l’être humain. Comportements dont vous avez peut-être aussi fait l’expérience quelques fois dans votre vie.

Outre l’aspect éthique discutable et les parallèles qui existent avec des situations réelles vécues, je ne mise pas tout sur la force de la situation ou du « système ». Ces comportements se retrouvent dans beaucoup d’autres situations, notamment avec de jeunes personnes inexpérimentées placées en situation de commandement (/management) et de stress. Car c’est précisément au manager (au chef présent, encore faut-il qu’il y en ait un !) de mettre en place les règles et la surveillance nécessaires pour éviter les débordements.

Je trouve que le pouvoir de la situation est invoqué un peu facilement, car tout a été mis en œuvre par Zimbardo pour que son expérience dérape ! Nous en parlerons plus en détail ici.

 

J’espère que cet article vous aura plu. N’hésitez pas à commenter et partager avec ceux ou celles qui pourraient être intéressés.

Merci encore de faire partie de nos lecteurs et à très bientôt !

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