L’expérience de Zimbardo (3) : effet Lucifer et influence du système
L’expérience de la prison de Standford est une des plus célèbres en psychologie sociale. Son auteur, Philip Zimbardo, l’a notamment utilisée pour introduire les concepts d’effet Lucifer, ou d’influence du système sur les individus. Après avoir décrit l’expérience dans deux précédents articles, vous trouverez ici les conclusions de l’auteur de l’expérience.
Nous détaillerons ici les conclusions de l’expérimentateur décrites dans son livre (à propos du livre). Un prochain article vous exposera mes conclusions, à partir de mes expériences de management / commandement et d’une approche plus exhaustive des théories de psychologie sociale, qui nuanceront celles du psychologue.
Que conclut donc le célèbre Pr Zimbardo de ce huis-clos à sensation dans lequel il a plongé une vingtaine de jeunes en pleine force de l’âge ?
De premières conclusions sans surprises …
En toute première approche, pas grand-chose de bien nouveau ! Il avoue d’ailleurs lui-même que, tout compte fait, « sa » prison entraîne des comportements très similaires à ceux que l’on peut observer dans les vraies, ou dans certains épisodes peu reluisants de certains guerres.
Notamment, il classe le comportement des gardes en trois catégories : ceux qui prennent du plaisir à sévir, ceux qui se bornent à exécuter leur tâche et ceux qui appliquent les ordres à contrecœur. Il constate aussi que les comportements les plus agressifs se déclarent la nuit, ainsi qu’une dérive vers des humiliations d’ordre sexuel.
De plus, il note que les caractères de désindividuation des gardes (uniformité des tenues et port des lunettes de soleil) ainsi que la déshumanisation progressive des prisonniers (perçus par certains gardes comme du bétail) ont favorisé les comportements agressifs.
Les détenus ont en outre progressivement glissé vers une résignation passive, mélange d’indifférence, de dépendance et de dépression.
Ces phénomènes sont plutôt connus et classiques de la psychologie sociale.
Alors que retenir de cette expérience ?
Une opposition entre analyse attributionnelle et situationnelle
Zimbardo insiste beaucoup sur « l’erreur fondamentale d’attribution » dans laquelle notre culture est ancrée, et qui consiste à survaloriser les caractères individuels et l’indépendance des individus, et à minimiser les effets de groupe. C’est la philosophie très abordable que l’on retrouve dans la culture populaire, qui met en scène des héros individualistes, et insiste sur le fameux libre-arbitre des personnages et s’oppose à tout fatalisme des événements. Repensez à ceci la prochaine fois que vous regarderez un film américain d’action populaire (je parle ici d’un film avec un budget à 8 chiffres, un scénario écrit par un enfant de 10 ans, et les gentils qui gagnent à la fin), vous avez toujours un petit couplet sur le libre-arbitre servi à un moment ou un autre.
Pour Zimbardo, au contraire, la situation dans laquelle sont plongés les individus importe beaucoup plus que leurs qualités intrinsèques. La nature humaine peut être transformée. Les bonnes personnes peuvent réaliser de mauvais actes quand elles sont immergées dans des « situations totales » qui perturbent la personnalité et le sens de la morale. La situation est très importante dans l’analyse du comportement des gens.
Zimbardo en conclut que ce ne sont pas forcément les gens qui sont mauvais mais l’organisation et le système de valeurs dans lesquels ils évoluent. Des personnes sans grande formation dans un système éthique mal structuré peuvent glisser rapidement dans la caricature du rôle qu’il leur a été demandé d’assumer. Dans le cas de l’expérience de Zimbardo, les geôliers, pris de court par les premières révoltes de prisonniers, se sont enfoncés dans un rôle de plus en plus rigide et répressif, dans la droite ligne de l’image populaire du geôlier. Elles ont été incapables de se démarquer d’un système total qui les a absorbées et qui a contribué à exacerber leurs comportements.
La faute au système, parait-il !
Zimbardo explique donc que le système est central dans la compréhension des comportements. Mais il ne décrit pas vraiment de façon exhaustive ce qu’il entend par système. C’est pourtant un des points forts qui revient dans sa description du fameux effet Lucifer. Il parle de combinaison de facteurs : notamment le pouvoir des règles et des procédures (et de leur interprétation), et le pouvoir des rôles (dans lesquels se fondent les participants à l’expérience). Il explique que les systèmes fournissent le soutien, l’autorité et les ressources afin que les situations se développent comme elles le font (sic). Mais il ne dit pas grand chose de plus malheureusement !
Et donc ?
Hé bien … voilà !
J’ai trouvé que celui qui cherchait vraiment à comprendre ce dont parle le Pr Zimbardo au sujet de « l’effet Lucifer » restait un peu sur sa faim.
En effet, pour celui qui a vécu des effets de groupe dans des circonstances assez fortes (cohésion stimulée ou situations de stress), les notions de la psychologie sociale courantes suffisent à analyser les comportements décrits dans l’expérience de la prison de Standford, sans nécessairement invoquer un effet Lucifer, sorti d’outre-tombe ou d’ailleurs !
Un parallèle avec des situations d’endoctrinement militaire est notamment évoqué dans son livre, et rejoint tout à fait cette analyse. Nous développerons ces points dans un prochain article, dans lequel sera développé une autre approche de l’expérience et des conclusions du Pr Zimbardo, décortiquant les phases de l’expérience et les mécanismes psychologiques traversés par les participants. Cette approche rejoindra très probablement celle de ceux qui, régulièrement, dirigent des équipes dans des situations délicates et qui justement ne doivent pas tomber dans les travers d’autoritarisme et d’arbitraire, qui ont peut être d’ailleurs été volontairement favorisés voire amplifiés dans cette expérience !
J’espère que cet article vous aura plu. N’hésitez pas à commenter et partager avec ceux ou celles qui pourraient être intéressés.
Merci encore de faire partie de nos lecteurs et à très bientôt !