Ne négligeons pas l’intelligence naturelle
Il peut être séduisant de basculer toutes ses données vers un seul système de gestion numérique intégré ou se laisser tenter par des outils d’intelligence artificielle quelle que soit la taille de notre entreprise, en pensant qu’il règlera beaucoup de problèmes en suspens.
Or n’oublions pas que le numérique n’est qu’un outil de plus au bénéfice de notre activité. Avant de se doter d’outils (le « avec quoi »), il est capital de bien déterminer les objectifs à atteindre (le « quoi ») et les processus et méthodes (le « comment »).
Car adopter des outils avant de définir les objectifs à atteindre et les manières de faire, c’est prendre le risque de désorganiser ce qui marche pour s’adapter à quelque chose qui n’a encore rien résolu. Il n’est pas indispensable d’implémenter des solutions pour des problèmes qui n’existent pas. Bien que la technologie nous promet de trouver toutes les solutions à nos problèmes, poser les problèmes nécessite d’abord une dose d’intelligence naturelle. Pour paraphraser Albert Einstein :
Une intelligence artificielle pourra probablement résoudre tous les problèmes, mais elle ne sera jamais capable d’en poser.
Un exemple malheureux de négation de l’intelligence naturelle : La Poste.
Une triste illustration de cette approche assez simple, mais qui s’oppose au dogme bien ancré que tout ce qui est nouveau est forcément mieux, peut être observée dans certaines grandes entreprises en restructuration à marche forcée. Le cas de La Poste a été récemment décrit dans la presse : lire l’article ici.
Surfant sur la vague de modernisation des années 2000 et fortement concurrencée par la transformation du monde de la communication et du courrier, l’entreprise La Poste a dû se réinventer pour s’adapter aux nouveaux paradigmes. Un des axes de changement passait (et passe encore) par la prise en compte de la réduction du volume de courrier papier, et donc la réduction du nombre de facteurs en conséquence. Pour réorganiser cette activité, l’entreprise s’est tournée vers un algorithme qui optimise les tournées des facteurs en fonction de critères géographiques et probablement d’autres paramètres. L’objectif est de réduire scientifiquement (ou mieux rentabiliser) la distance parcourue par les facteurs, et augmenter le courrier distribué dans le même laps de temps : la science au service de l’homme (et de la femme) en jaune !
Jusqu’ici pourquoi pas…
Evidemment il faut se laisser convaincre que l’intelligence artificielle (il ne s’agit pas forcément ici littéralement d’intelligence artificielle, car les algorithmes ne sont pas forcément auto-apprenants, mais tout du moins d’optimisation sous contrainte) soit forcément meilleure que l’intelligence naturelle. Ce qui n’est pas si évident.
En effet, l’article explique que la méthode a été appliquée de façon assez arbitraire, peu expliquée, et sans prendre en compte tous les paramètres qui méritent de l’être : le temps moyen de distribution d’une lettre ou d’un recommandé sont fixés très précisément ainsi que la vitesse moyenne de déplacement lors de la tournée, probablement à partir de critères objectifs mais non expliqués aux intéressés. De plus, tous les deux ans les tournées peuvent être réorganisées totalement suivant un nouveau modèle, avec visiblement peu de prise en compte des observations du terrain. Au bilan, des facteurs qui courent (ou pédalent) pour respecter leur quota de lettres distribuées à la journée, un fort sentiment de dévalorisation professionnelle, une ignorance du savoir-faire des acteurs, et un mal-être plus que perceptible. Je vous conseille l’article pour plus de détails.
Même si le texte mérite d’être examiné avec du recul et un sens critique, il parait probable que dans cet exemple l’humain n’a pas vraiment été placé au cœur du système.
Voilà un exemple typique d’application dogmatique et biaisée des outils numériques, avec un manque de considération pour les personnes. Elles deviennent esclaves d’un système inhumain sur lequel elles n’ont aucune prise. En d’autres termes, il s’agit d’une sous-estimation de l’intelligence naturelle, par l’application mal accompagnée d’une méthode pseudo scientifique (un algorithme qui intègre probablement assez peu les paramètres purement humains de l’équation).
L’anti-Lean management
Pour ceux qui sont familiers les principes du Lean management, qui n’est avant tout qu’une compilation de bon sens et de méthodes éprouvées, vous noterez la contradiction flagrante avec le principe d’inversion de la pyramide ou de focalisation sur les problèmes du terrain (voir ici). Cet exemple concorde avec une approche de l’outil comme soutien des processus (établis et améliorés collégialement à partir des situations concrètes) qui ne doit pas s’imposer à tous par principe ou par croyance.
L’intelligence artificielle, ou plutôt les outils numériques, restent des outils, au service des activités de l’entreprise et de son personnel. Inverser ce fait, c’est-à-dire adapter l’être humain à un système automatisé, déshumanise le travail en subordonnant les employés à des machines, tel les Charlie Chaplin des temps modernes.
Peut-être aurait-il fallu que les facteurs puissent eux-mêmes participer à l’élaboration de ce nouvel outil ? Peut-être aurait-il été intéressant qu’ils se l’approprient comme une aide pour leur propre organisation et puissent le programmer eux-mêmes ? Peut-être auraient-ils trouvé des optimisations auxquelles les programmeurs n’ont pas pensé, ou des méthodes de distributions novatrices ?
Conclusion
Cet exemple représente bien entendu un cas extrême de désadaptation entre les outils et les personnes. Néanmoins il illustre les choix maladroits pris dans l’adoption d’un outil numérique, probablement avec des intentions louables, mais basé sur une négation de la capacité de réflexion et d’adaptation des êtres humains qui devront s’y subordonner sans autre formalité.
Dans le prochain article (cliquer ici), nous aborderons le thème de l’intelligence naturelle et des questions à se poser pour en extraire la plus grande plus-value. Ce qui est généralement souhaitable avant toute réflexion sur l’adoption éventuelle d’outils numériques ou d’intelligence artificielle.
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