Pourquoi donc remplacer les êtres humains par des machines ? (1/2)

Temps de lecture : 5 minutes

C’est plutôt évident, l’être humain ça râle, ça n’est pas toujours d’accord, ça s’énerve, ça veut de la reconnaissance, il faut les payer, les écouter, bref c’est pénible. C’est quand même beaucoup mieux une machine qui ne dit rien, qui exécute et qui est là pour ce quoi on l’a payée, sans se plaindre.

Il parait donc parfaitement logique de vouloir se débarrasser des êtres humains et les remplacer par de simples machines, automates ou algorithmes. Sauf évidemment si vous doutez que la création humaine puisse si facilement remplacer son créateur et que vous considérez les relations humaines et la fréquentation de l’être humain plutôt comme une richesse et une nécessité que comme une perte de temps.

Le problème, c’est que remplacer tous ces bipèdes de chair et de sang (et qui se permettent de penser en plus) le plus largement possible, ça ne marche pas toujours. 

En effet, si l’être humain est limité par certains aspects, il existe de nombreux domaines pour lesquels il n’est pas (et il ne sera probablement pas) possible de le substituer.

Pour bien définir les termes employés dans cet article et ceux de la série sur l’opposition intelligence artificielle / intelligence naturelle (voir ici pour le premier, et ici pour le second), le terme intelligence artificielle ou machine regroupe de façon large voire caricaturale le remplacement de l’humain et de ses capacités cognitives par des robots, algorithmes ou systèmes artificiels. La transformation numérique, qui a pour but d’introduire des outils numériques sans toujours remplacer les personnes, est globalement comprise dans cette catégorie en tant que support d’une utilisation plus systématique des données par d’autres outils.

Pour résumer, cette série d’articles n’a pas pour objectif de présenter une méthodologie rigoureuse de mise en place d’outils numériques, mais plutôt d’introduire des notions et des concepts permettant de poser les bases d’une réflexion sur le thème. Si vous n’êtes pas d’accord, tant mieux, la discussion s’enrichit toujours des points de vue différents.

La révolution industrielle et le drame des maréchaux-ferrants

S’il est un métier qui s’est heurté à la destruction créatrice de Schumpeter, c’est bien celui de maréchal-ferrant à la fin du siècle dernier. La révolution industrielle, lancée par la machine à vapeur puis relayée par le moteur à explosion au début du siècle dernier, va profondément modifier la place de l’animal et de la force naturelle dans le tissu économique. Fini le bruit des sabots sur les pavés, les joyeux compagnons maréchaux-ferrants, les charges de cavalerie sur les champs de bataille, et (accessoirement) les montagnes de fumier dans les rues. 

La force animale est ainsi supplantée par la machine qui s’invite dans la plupart des secteurs de la vie industrielle et professionnelle des temps modernes. Même s’il ne s’agit initialement que de génération de puissance, la machine remplace progressivement les tâches physiques et difficiles (dans l’industrie lourde par exemple) ou les tâches répétitives (métiers à tisser par exemple).

L’apparition de l’intelligence artificielle aujourd’hui ne représente donc pas un tournant historique de l’évolution humaine si intense, puisque cela fait déjà quelques siècles que la nature est progressivement supplantée par la machine dans les activités de production.

Les quatre D

Dans ce mouvement, l’argument économique est bien évidemment fondamental (ça coute moins cher), cependant ce n’est pas le seul. Avec la place grandissante de l’individu et de son confort au sein des sociétés, et accessoirement la prise en compte de la valeur de la vie humaine, la question s’est aussi posée dans un autre domaine : le monde militaire. La théorie de l’offensive à outrance de Foch au début de la première guerre mondiale, qui exalte la démonstration du courage et de la force d’esprit pour offrir une victoire inévitable à ceux qui monteraient à l’assaut gonflés de bravoure et de mérite, s’est vite empalée sur les rafales des armements modernes. De fil en aiguille, le développement des outils et des doctrines militaires s’est orienté vers une dilatation de la distance entre les belligérants et la réduction de l’exposition des combattants.

D’où, actuellement, l’intervention de plus en plus massive de drones et autres robots sur les champs de bataille. L’arrivée de ces supplétifs froids et sans cœurs a évidemment apporté son lot de questions éthiques sur le rôle de l’homme sur un champ de bataille, la robotisation et le syndrome « terminator ». Ces questions intéressantes n’éludent pas une vision plus utilitariste, théorisée dans le cas des drones par les 4D : dumb, dull, dirty dangerous. 

Eh oui, désolé, de l’anglais, c’est néanmoins mnémotechnique.

Les drones deviennent donc utiles et largement tolérés à la place d’un engin avec pilote embarqué si les tâches effectuées sont : stupides (ou à faible plus-value cognitive : « dumb »), ennuyeuses (« dull », par exemple voler en rond pendant des heures), sales (« dirty », cas de l’intervention au sein d’un environnement radioactif par exemple : c’est possible pour une personne bien équipée, mais pas très « propre » et un robot est souvent préférable) ou dangereuses (« dangerous », cas des robots démineurs ou des drones sous-marins).

Le drone s’est donc ainsi invité sur le champ de bataille, comme un complément efficace des moyens pilotés, en offrant notamment une très grande permanence opérationnelle (certains drones peuvent voler pendant plusieurs jours), même dans des zones dangereuses. 

Ce concept des 4D se retrouve aussi dans le monde de tous les jours quand il s’agit de surveiller des paramètres qui évoluent très peu (un système de capteurs de surveillance avec alarme automatique est bien meilleur qu’une personne qui fixe un ou plusieurs cadrans qui ne bougent presque pas) ou réaliser une opération simple et très répétitive (machines industrielles). 

Et généralement tout le monde s’accorde sur le fait que les machines ou les algorithmes sont bien utiles pour suppléer l’homme dans ses tâches les plus pénibles.

Peut-on donc définir où devrait commencer la compétence de la machine (ou de l’algorithme, intelligence artificielle, etc.) et où pourrait s’arrêter celle de l’être humain ?

Moi, Homme, maître en ce bas monde

Au-delà de l’argument pratique qui consiste à faire exécuter les corvées les plus ingrates par des machines, il existe d’excellentes raisons pour confier ou ne pas confier certaines tâches à nos compatriotes humains. En effet, l’Homme est extrêmement performant dans certains domaines, mais plutôt limité dans d’autres.

Les comparaisons entre l’homme et la machine glissent généralement vers un imaginaire collectif alimenté par la littérature ou le cinéma. Demandez autour de vous ce qui vient à l’esprit lorsqu’il est question de l’homme contre la machine, et les plus anciens citeront Deep Blue (logiciel qui a battu à l’époque le champion du monde d’échecs), ceux qui n’aiment pas les échecs (et les autres aussi) immanquablement Terminator, mais aussi « I robot », Matrix, Ultron des Avengers, mais aussi bien sûr Arthur C. Clarke avec « 2001 l’Odyssée de l’espace » et Isaac Asimov qui introduit dans ses nouvelles les trois lois de la robotique. L’imaginaire asiatique est généralement plus conciliant avec les humanoïdes et les machines, car vus comme des supplétifs utiles (les connaisseurs de la région ou des Manga le savent) et non comme des compétiteurs de l’espèce, ni des facilitateurs du chômage de masse.

Quelle que soit votre opinion sur la question, tous ceux qui possèdent un smartphone (c’est à dire  75% de la population) ne peuvent nier l’imbrication totale de cet équipement technologique dans leur vie quotidienne, et probablement dans leur vie professionnelle. Ces petits outils de technologie dépassent déjà largement certaines de nos capacités intellectuelles : essayez donc de retenir 30 Go de données (ce que les standards de smartphones actuels proposent largement en volume de stockage), c’est à dire plus de quatre fois l’encyclopédie Universalis, ou tentez de réaliser un milliard d’opérations par seconde (la vitesse des processeurs se compte en GHz, soit 1 milliard d’opérations par seconde – opérations simples certes, mais quand même). Nous sommes déjà tous dépassés. 

La grande frayeur s’incarne généralement dans une perte de contrôle de la machine, qui prend le pas sur l’être humain et décide à sa place, voire le considère comme le problème plus que la solution. Ce type de paradigme semble assez crédible pour qu’un groupe de personnalités scientifiques et industrielles, dont la crédibilité est indiscutable, décide de rédiger une lettre ouverte sur la question de l’intelligence artificielle (https://fr.wikipedia.org/wiki/Lettre_ouverte_sur_l%27intelligence_artificielle).

Avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, je vous propose d’examiner cette question dans un prochain article sous un angle différent.  Dans la continuité des constats réalisés plus haut sur l’intégration progressive et complémentaire de la machine dans les activités humaines, les atouts des uns et des autres seront examinés, pour déterminer les meilleurs dans chaque catégorie.

A suivre dans ce nouvel article …

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